Looking at design through the lens of social sciences

  • A new field of study and topic that change each year. 
  • Students work in small groups and conduct a ‘flash’ empirical study. 
  • 5 days of workshops and fieldwork. 
  • Formulate a research problem, devise original methodologies, carry out an investigation by collecting empirical data, analyse it and present it.

Saclay invisible, entretenir le rêve


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Méthodologie

Pour répondre à nos questions, nous avons mis en place des entretiens et un questionnaire. Nous nous sommes entretenues avec cinq personnes des équipes de nettoyage de Télécom et, principalement, de l’ENS, et avec deux personnes représentantes des institutions de Télécom et de l’agglomération Paris Saclay. Le questionnaire a reçu 25 réponses, il avait été transmis par mail aux étudiant•es et aux enseignant•es en design de l’ENS, sur un groupe Whatsapp avec beaucoup d’étudiant•es de tous les départements de l’ENS et par mail à nos enquêté•es.

NOS ENQUÊTÉ•ES

Nous avons rencontré de nombreuses personnes des équipes d’entretien de Télécom et de l’ENS, mais nous avons surtout bien échangé avec cinq d’entre elles et eux. Au cours de notre terrain exploratoire, nous avons rencontré une personne de l’équipe de nettoyage à télécom. Puis nous avons rédigé une grille d’entretien et nous sommes séparées en deux groupes, afin de ne pas être dans une supériorité numérique trop surplombante pour nos enquêté•es. Nous avons rencontré une bonne partie de l’équipe nettoyage de l’ENS, qui comprend 11 personnes : Madly, Anna et Marie se sont entretenues pendant 20 minutes avec une première agente de service le 6 novembre et Selma et Christiane avec trois autres personnes de l’équipe pendant 20 minutes aussi, le 7 novembre. Nous les savions contraintes par leur demie-heure de pause et nous ne voulions pas les déranger trop longtemps. Pour comprendre les fonctionnements institutionnels, en suivant une autre grille d’entretien spécifique, nous avons échangé avec Christelle Thomas, Déléguée Transition sociale et Diversité de Télécom Paris, et avec une urbaniste du pôle aménagement des territoires et cadre de vie de l’agglomération Paris-Saclay.

ANONYMAT

Nous avons proposé à chaque personne avec laquelle nous nous sommes entretenues, si ils et elles souhaitaient être anonymisées. Donc sur internet nous gardons leurs noms confidentiels mais étant donné notre sujet sur l’invisibilisation, il nous a tenu à cœur de nommer nos interlocuteur•rices dans le fanzine, nous y reviendrons tout de suite.

CARTOGRAPHIES DES LIEUX D’ENTRETIENS

Difficultés, stratégies, outils d’enquête et critiques

Ce terrain était difficile déontologiquement. Approcher nos sujets d’étude a été un des points les plus compliqués dans notre enquête. Malgré le fait que nous les croisons facilement dans les couloirs, nous avons ressenti de l’inconfort à aller au contact des agent•es d’entretien. Ce malaise peut être analysé comme un symptôme d’une hiérarchie entre deux types de positions : les étudiant•es et les personnes chargé•es du nettoyage. En effet, l’enquête comporte une asymétrie intrinsèque entre celui qui vit et celui qui observe : “La vision est toujours une question du pouvoir de voir”2. Cette asymétrie intrinsèque à l’enquête était ici accentuée puisque nous ne sommes pas neutres, ni extérieur•es au terrain, nous sommes étudiantes. Nous sommes les principales concernées par le campus de Saclay, nous étudions pour choisir plus librement notre métier, un métier qui devrait être valorisé et plaisant. Aussi, nous ne voulions pas nous interposer pendant leur temps de travail.  

Après avoir trouvé le courage de demander à quelques personnes leur salle de pause, nous nous sommes plutôt rabattues sur le fait de leur rendre visite sur leurs temps de repos, communs à tous les agents d’entretien. Cependant, grignoter dans leur moment de répit était à peine plus correct et la culpabilité de déranger toujours bien présente. S’ajoute à cela la barrière de la langue, que nous n’avions pas du tout prévue. La chouquette et la brioche ont donc intégralement fait partie de notre stratégie pour rendre le moment agréable et détendu autant que possible, nous nous sommes également limitées à des entretiens courts pour leur laisser du temps tranquille tout en proposant un moment convivial.

Dans le but de dépasser certaines des difficultés rencontrées, nous avons donc mis en place un fanzine comme outil d’enquête. D’une part, assez classiquement pour les enquêtes de terrain des designers, le fanzine devient outil de médiation il est une médiation d’une partie de l’enquête, en présentant notamment les portraits des travailleuses, et d’autre part, il nous a permis d’entrer sur le terrain, il a été prétexte à la rencontre. Nous venions alors aux entretiens avec les travailleuses munies d’un appareil photo et de l’enregistreur, en leur expliquant notre statut d’étudiantes, la thématique de travail, c’est-à-dire le Plateau de Saclay idéal, notre intérêt pour leur opinion sur ce lieu et enfin le projet de fanzine et de portraits de chacunes.

Mais, cette microédition n’est pas seulement un outil d’enquête puisque à travers elle, nous engageons notre recherche, d’une part les portraits participent à visibiliser et valoriser ces femmes et hommes et d’autre part, le soin porté au dressage de chaque portrait est notre contre-don de temps et d’attention. C’est une manière de remercier les travailleuses du soin qu’elles portent à notre espace d’études : les dessins de Selma, les textes certes courts mais valorisants.

Le fait de dessiner les participantes à nos entretiens se voulait au départ purement esthétique, déjà projeté sur la forme du fanzine. Cependant, le procédé s’est révélé plus intéressant socialement que ce que nous avions envisagé. À la fin de notre discussion d’une quinzaine de minutes avec trois des agentes d’entretien, celles-ci se sont penchées par-dessus l’épaule de celle qui dessinait. Elles ont apprécié la ressemblance avec leur collègue, ri du nez qui manquait dans un autre portrait et complimenté les compétences en dessin de Selma. 

Alors que nous venions de passer seulement une quinzaine de minutes avec elles, l’une de ces femmes a posé sa main sur l’épaule de Selma, en train de dessiner. Le médium du dessin semble avoir permis un contact, ici à la fois explicitement physique, mais aussi une proximité dans la discussion. Cet entretien, qui était jusque-là exclusivement tourné vers elles, s’est alors transformé dans un nouveau type d’échange. Elles nous ont demandé ce que nous faisions plus précisément comme études et posé quelques questions sur nous. Même si la conversation s’était déjà facilitée au fur et à mesure de l’entretien, ce passage par le dessin semble avoir permis une intimité encore davantage approfondie.

Durant notre enquête et comme relevé précédemment, nous nous sommes également confrontées à la barrière de la langue. Nous nous attendions à nous retrouver face à des personnes racisées et une partie conséquente de l’équipe de l’ENS parlait principalement le portuguais. Cela a posé problème pour que nous nous comprenions et surtout pour qu’elles signent nos formulaires de consentement qui n’étaient rédigés qu’en français. Cette difficulté est régulièrement soulevée par l’anthropologie récente. Au-delà d’une difficulté méthodologique, il s’agit d’une violence symbolique, dans un contexte post-colonial, de faire signer des formulaires dans un langage non maîtrisé3. Celles qui ont accepté de signer ont donc dû nous donner leur entière confiance alors que nous ne nous connaissions quasiment pas. Pour cette raison, et notre recherche de transparence, l’intégralité de notre fanzine est réalisé dans les deux principales langues des agentes de service de l’ENS : le français et le portugais.

De la réalisation de cette enquête a émergé la nécessité d’aborder le travail invisible à travers une perspective de genre et d’intersectionnalité. Nous avons observé que, même si le travail de nettoyage est majoritairement effectué par des femmes, souvent racisées, d’autres postes liés à l’entretien des lieux institutionnels — accueil, sécurité, parking — sont principalement occupés par des hommes racisés. Ce constat nous a permis de mettre en lumière les distinctions genrées et raciales au sein des travailleur•ses subalternes. Bien que nous n’ayons pas intégré formellement une approche intersectionnelle dans nos outils d’analyse, cette enquête a révélé la nécessité de le faire dans nos pratiques et disciplines scientifiques. L’approche intersectionnelle, telle que définie par Kimberlé Crenshaw, permet d’étudier la manière dont différentes formes d’oppression et de privilège (genre, race, classe, etc.) se croisent et se renforcent mutuellement, offrant ainsi une lecture plus complète des inégalités.

Analyse et retours sur l’hypothèse

Analyse des entretiens avec les agent•es du nettoyage

Le “bureau des plaintes”, un plateau-lieu de travail plus contrasté que prévu

À travers nos entretiens avec les agent•es d’entretien, nous avons cherché à comprendre l’invisibilité du métier perçu par eux et elles-mêmes. Ces entretiens éclairs de 20 minutes ne nous ont pas tellement donné l’occasion d’entrer en profondeur dans nos sujets, mais nous ont au moins permis de nous rencontrer. Nous avons donc obtenu des réponses génériques. Par exemple, la personne de l’équipe de nettoyage de Télécom et une membre de l’équipe de l’ENS nous ont toutes les deux mentionné que leurs cheffes d’équipe sont très gentilles et qu’elles et ils ont des chariots de qualité avec tout le matériel dont ils et elles ont besoin.

Nous avons eu de nouveaux étonnements suite à nos deux premiers entretiens parce que les deux ont témoigné d’un plaisir à venir travailler sur le plateau, et d’un endroit plutôt idéal pour travailler. Ce point de vue émane notamment d’une des plus anciennes de l’équipe de l’ENS, elle y travaille par le biais de l’entreprise koala depuis 2019. Son poste la conduit dans tous les coins de l’ENS au contact de diverses personnes, et c’est un poste au sein duquel elle ressent une sorte d’épanouissement social. Finalement, un seul élément négatif de son métier est ressorti de notre entretien avec elle. Un autre élément positif est ressorti de tous nos entretiens, chacun•e ressent une certaine autonomie grâce à leurs chariots et boxs individuels, qu’elles et ils agrémentent des produits qu’ils et elles souhaitent “c’est comme à la maison, tu fais ce que tu veux”.

” J’ADORE TRAVAILLER ICI, LES GENS SONT POLIS “

Mais nous avons commencé à percevoir un malaise parce que, l’insistance sur la gentillesse de la cheffe d’équipe, est justement due au récent changement de direction et la bienveillance de la cheffe actuelle contraste avec celle de la précédente. Cet élément nous permet peut-être d’expliquer le turn-over qu’a connu l’équipe pendant les premières années à Saclay.

L’échange de Christiane et Selma avec trois autres agentes de l’équipe de l’ENS a laissé transparaître beaucoup plus de critiques envers leur invisibilité ressentie. Elles ont témoigné du manque de respect de certain•es étudiant•es, qui mettent leurs pieds sur les tables par exemple, mais aussi de la rareté des personnes qui les saluent, alors que, pourtant, elles aimeraient être davantage saluées. D’après elles, c’est d’autant plus flagrant que, parfois, même des personnes seules dans leur bureau, au moment où elles y font le ménage, ne les saluent pas.

” CE N’EST PAS TOUT LE MONDE QUI DIT BONJOUR “

Nous nous sommes alors étonnées de la grande différence d’optimisme entre ces deux types de réponses. Nos questions étaient plutôt orientées : nous leur demandions leurs conditions de travail et nous pensons que cela se prêtait plutôt à un “bureau des plaintes”, elles et ils auraient pu répondre ce qu’ils pouvaient penser qu’on attendait d’entendre. Pourtant nos deux premiers interlocuteur•rices sont allés dans la direction opposée en affirmant leur bien-être. Nous pensons que le contraste vient peut-être des différences de leurs postes, de leurs horaires, ou encore de leur ancienneté ?

Enfin nous relativisons : idéal ou dépendance ? Le fait que certain•es restent depuis plus longtemps témoigne peut-être moins de merveilleuses conditions de travail, et davantage de dépendances à leur travail ? Chacun•e de nos interlocuteur•rices nous a expliqué ses motivations dans son métier : proximité entre leur lieu d’habitation et lieu de travail ou encore les horaires arrangeants pour s’occuper de leurs enfants.

Analyse des entretiens avec les représentantes d’institutions

Du morcellement urbain au cloisonnement des groupes sociaux

En parallèle de nos rencontres avec les travailleur•ses de l’entretien, nous avons échangé séparément au sujet de la question de l’idéal avec Aurélie Schmidt-Pons, cheffe de projet aménagement à la Communauté d’agglomération Paris-Saclay et Christelle Thomas qui est déléguée transition sociale et diversité à Telecom Paris. Nous avons discuté de la possibilité d’un Plateau de Saclay idéal et l’interrogation d’ “un idéal pensé par et pour qui” est restée présente dans les discours d’Aurélie et de Christelle. Elles nous ont donc donné des visions urbanistiques et d’inclusion qui se recroisaient.

L’aspect morcelé de l’urbanisme se ressent dans la non inclusion des différentes catégories socio-professionnelles sur le plateau.

” CETTE ZONE EST COMME UN QUARTIER FANTÔME “

Dès le début de l’entretien, Aurélie souligne que l’un des principaux objectifs derrière la construction du Plateau était de réussir à créer une culture de Saclay, un lieu avec son identité propre. Or, on observe une certaine rupture entre les différentes zones composant le Plateau notamment dû à une absence d’unité architecturale, un manque de transports, de commodités et d’endroits de rassemblement. La séparation ne concerne pas seulement les lieux mais aussi les personnes (passager•es ou résident•es) peuplant le Plateau. Est-ce une séparation volontaire ou non ? Après discussion avec Aurélie et Christelle, on observe que le manque de vision globale du projet Saclay amène à l’existence de plusieurs freins : les barrières entre différentes institutions ou encore l’invisibilisation de toute une population de travailleur•ses faisant activement fonctionner le Plateau.

Un des aspects de leur travail respectif concerne notamment la question de l’inclusion ou comment envisager une politique d’inclusivité, un écosystème ou chacun•e trouve sa place. Selon Christelle, le mieux serait que chaque personne puisse « aller dans toutes les sphères» composant Saclay. Mais, on constate que la réalité n’est pas tout à fait la même, surtout en ce qui concerne le personnel d’entretien. Bien qu’ils et elles fassent partie de la vie quotidienne des établissements, ces employé•es sont souvent invisibilisé•es, leur avis est alors peu, voire pas, pris en compte dans la construction de projets comme celui du Plateau. Ces travailleur•ses sont engagé•es par des prestataires extérieurs aux institutions et dépendent donc des réglementations imposées par ces mêmes prestataires. Se pose ainsi le sujet de la mise en place d’une politique d’inclusion détournée, dans lequel des établissements comme Télécom cherchent à offrir un cadre de travail idéal mais sans pouvoir proposer certains aménagements réservés au personnel employé par l’école. Parfois, l’entreprise prestataire d’entretien change, et avec elle, les employé•es intégré•es partent, voire se retrouvent au chômage.


” LE RÊVE, C’EST D’AVOIR UNE FLUIDITÉ ENTRE UN LIEU ET UN AUTRE “

Lors de notre entretien avec Christelle, celle-ci a insisté sur le fait que l’inclusion, à défaut de venir des politiques institutionnelles, doit venir des individus. Pour cela, elle prend l’exemple des syndicats qui servent de ponts humains et tentent de résoudre les morcellements urbains et humains. Ces structures jouent un rôle important quant aux questions de bien-être au travail, d’accessibilité et d’inclusivité en permettant notamment de faciliter le dialogue entre les différents organes institutionnels. Il est important de souligner que des acteur•rices comme Christelle et son équipe mettent en place des éléments pour les travailleurs•ses du nettoyage. Lorsque l’on s’intéresse au sujet de l’inclusivité, il n’est pas uniquement question des aménagements physiques mis en place pour le personnel d’entretien mais cela concerne aussi l’accompagnement de personnes en difficultés, le développement de façon systématique des pistes d’inclusion comme des évolutions de carrière potentielle au sein des établissements.

Analyse des données recueillies par questionnaire

Nuancier de transparence perçue par les usager•es

À travers le questionnaire, nous avons cherché à évaluer dans quelle mesure leur rôle est perçu comme essentiel à la maintenance du Plateau et comment leur présence s’inscrit dans le champ de visibilité des usagers.

Des réponses au questionnaire ont émergé une hiérarchie parmi les métiers essentiels au fonctionnement du plateau.

À la question : “Selon vous, quelles sont les professions essentielles au fonctionnement du Plateau ? Si possible citez en quatre” : 

  • 12 répondant•es sur 25 personnes n’ont pas répondu et pourraient témoigner d’un désintérêt pour la question. 
  • 2 ont cité un seul métier, les commerçant.es
  • 9 personnes ont donné 4 réponses
  • les 2 catégories les plus citées sont les chauffeur•ses de bus et les commerçant.es (cités 8 fois), ensuite vient le personnel d’entretien (cité 7 fois)
  • les 17 autres catégories de métiers ressortis ont été cités moins de 3 fois chacune. La grande présence des commerçant.es parmi les réponses nous semble découler des nombreux discours autour des fermetures vivement critiquées des commerces dits “non-essentiels”, pendant la pandémie du covid 19, il y a 5 ans

Loin de hiérarchiser ces métiers selon un degré d’“essentiel”, les résultats témoignent surtout de l’invisibilité de ces derniers. La quasi-totalité des répondant•es avaient compris que nous cherchions à connaître les plus invisibles des métiers essentiels, nous n’attendions pas des réponses comme “enseignant•es” et “chercheur•ses” et n’avons obtenu que 3 réponses les mentionnant. Nos résultats témoignent donc bien d’un tiraillement entre “métiers invisibles” et “métiers que nous savons invisibles”.

Nous avons également pu faire des comparaisons entre la régularité de présence des répondant•es sur le plateau avec la fréquence à laquelle ils et elles remarquent et interagissent avec le personnel d’entretien.

Aux questions “À quelle fréquence remarquez-vous le personnel d’entretien des structures que vous fréquentez ?” et “À quelle fréquence avez-vous des interactions avec le personnel d’entretien ?” : 

  • 6 répondant•es sur 25 ont déclaré interagir chaque jour plusieurs fois avec le personnel
  • 11/25 déclarent interagir aussi souvent qu’ils et elles remarquent les agent•es. 
  • les 14 répondant•es restant•es n’interagissent pas avec elleux à chaque fois qu’ils et elles les remarquent
  • 3 d’entre eux et elles n’interagissent jamais avec les agent•es
  • parmi ces 3 dernier•es, 2 viennent moins d’1 fois par semaine sur le plateau et 1 vient plus de 3 fois par semaine sur le plateau. 
  • aucun•e répondant•e n’a répondu qu’il ou elle ne remarque jamais le personnel d’entretien

Ces réponses nous permettent de mesurer le degré de “transparence” des travailleur•ses, tel qu’il est perçu par les usager•es du plateau, et la comparaison avec les interactions nous permet de lier cette perception des usager•es avec la perception par les agent•es d’entretien de leur propre transparence.

Nous avons également cherché à comprendre plus précisément la nature des liens entre les usager•es du plateau et le personnel d’entretien.

À la question libre : “Avez-vous tissé des liens avec des personnes en charge de l’entretien ?” : 

  • 12 étudiant•es parmi les 21 étudiant•es répondant•es au questionnaire ont ici répondu “non”
  •  6 étudiant•es sur 21 n’ont tout simplement pas répondu, on peut facilement en conclure que 18 étudiant•es sur 21 n’ont pas tissé de liens
  • parmi les 4 réponses de professionnels du plateau, 2 ont répondu avoir des rapports cordiaux, 1 a répondu non et lae dernier•e semble avoir des échanges professionnels (“Discussion de l’entretien, rarement des repas conjoints”)
  • une réponse libre nous a toutefois étonnées : “Oui, pas sur le plateau”

Nous n’avons pas obtenu de réponses détaillant des relations particulières, la grande présence de réponses négatives ou d’absence de réponses laisse penser que les interactions entre usager•es et agent•es d’entretien amène rarement vers des liens ou des relations entre ces deux catégories de personnes sur le plateau.Cette rareté des interactions interroge la distance sociale et perceptive qui s’installe entre usagers du Plateau et celles et ceux qui en assurent la propreté et la continuité quotidienne.

La comparaison des parties du questionnaire sur les travailleur•ses du plateau avec celles sur le non-humain révèle un point frappant : la capacité d’observation des répondant•es varie fortement selon qu’il s’agit d’humains ou d’éléments non humains. Par exemple, une majorité déclare remarquer la présence d’oiseaux plusieurs fois par jour, parfois jusqu’à cinq fois lors de leurs trajets. Pourtant, cette attention soutenue à la faune locale ne se traduit pas par une visibilité équivalente du personnel d’entretien, pourtant omniprésent dans le fonctionnement quotidien du territoire.

Les données montrent que, parmi les personnes affirmant observer très régulièrement les oiseaux, seule la moitié mentionne le personnel d’entretien lorsqu’il s’agit d’identifier les travailleurs essentiels à la maintenance du Plateau. Cette asymétrie souligne un phénomène d’invisibilisation d’un travail pourtant fondamental.

Ces premiers résultats ouvrent ainsi une réflexion plus large sur la manière dont les usager•es perçoivent – ou ne perçoivent pas – les acteur•rices humain•es qui contribuent à façonner leur environnement quotidien, et sur la place accordée à ces travailleur•ses dans l’imaginaire d’un « Plateau idéal ».

Croisement de nos résultats

Population instable et liens fragiles

Les entretiens avec les travailleur•ses ne nous ont pas permis d’accéder à un consensus, comme nous l’avons expliqué plus haut. Certain•es se focalisaient sur la gentillesse des usager•es de l’école et leur épanouissement relationnel quand d’autres se focalisaient principalement sur l’irrespect et l’impolitesse de certain•es étudiant•es, enseignant•es et chercheur•ses. En parallèle le questionnaire fait remonter des nuances similaires sur l’invisibilité perçue par les usager•es du plateau.

La plupart des 25 usager•es répondant•es remarquent le personnel d’entretien entre 1 fois par semaine et plusieurs fois chaque jour où ils et elles viennent sur le plateau. La seule différence est que 14 d’entre elles et eux n’interagissent pas avec les agent•es à chaque fois qu’ils et elles les croisent, pouvant renvoyer une image impolie aux yeux des agent•es d’entretien.

Nous pouvons comparer l’absence de liens entre les étudiant•es et le personnel d’entretien qui ressortait dans le questionnaire, avec la différence dans l’investissement sur le plateau selon les statuts de propriétaires ou de locataires dont nous avons parlé avec l’urbaniste de l’agglomération Paris Saclay. En effet, les étudiant•es ne venant sur le plateau que pour quelques années s’investissent effectivement peu avec leur milieu et n’ont donc pas le temps de développer des liens avec le personnel d’entretien qu’ils et elles ne font que croiser parfois dans les couloirs. L’invisibilité et l’isolement perçus par certain•es travailleur•ses, émanent donc peut-être de la grande instabilité de la majorité de la population du plateau, étudiante et donc souvent changeante. La population étudiante n’est d’ailleurs pas la seule population instable, les travailleur•ses aussi peuvent arrêter de travailler dans nos écoles du jour au lendemain pour un simple changement d’entreprise prestataire, comme nous l’a expliqué Christelle.

Conclusion

Pour cette édition, nous avons été invité•es à explorer « le Plateau de Saclay idéal ». L’objectif n’était pas seulement de dessiner un idéal abstrait, mais de comprendre la réalité vécue par les différents acteurs et actrices du site, en particulier ceux et celles souvent invisibilisé·es, comme les travailleur•ses d’entretien.

Le concept d’idéal nous interroge : pensé par qui, pour qui ? Derrière l’image d’une «Silicon Valley française» et d’une excellence académique, quelles réalités sociales et professionnelles coexistent ? Le plateau n’est pas seulement un espace de savoir et d’innovation : il reproduit des inégalités sociales, de classe, de genre et de race, et sépare ses habitant•es par statuts, horaires et pratiques. Ces séparations créent une forme d’invisibilité, non pas absolue, mais sociale et spatiale : certain•es sont ailleurs, éloigné•es des cercles de décision et d’interaction, leur présence est vécue comme distante, marginale, mais essentielle.

Notre enquête a cherché à rendre visibles ces mécanismes, non pour exposer ou stigmatiser, mais pour comprendre. Au travers d’entretiens, questionnaires et fanzine, nous avons exploré comment des espaces contraints deviennent à la fois des lieux de souffrance et de partage, comment des liens d’autonomie, de résistance et de reconnaissance peuvent se tisser, et comment l’idéal de Saclay peut être déconstruit pour imaginer un projet plus juste et collectif. Nous avons aussi interrogé la temporalité dans la rencontre de l’altérité : le temps nécessaire pour aller vers l’autre, au-delà des logiques de performance et d’efficacité, apparaît comme essentiel pour construire une compréhension et un respect mutuels.

Notre enquête a mis en lumière la tension entre l’idéal projeté de Saclay et la réalité vécue par les travailleur•ses invisibles. La question n’est pas tant l’invisibilisation en soi que la séparation et la non-inclusion : ces personnes ne sont pas totalement ignorées, elles sont en marge, avec des rythmes, des horaires et des statuts différents. La rencontre de l’altérité exige donc du temps, de l’engagement et des outils pour dépasser les barrières sociales et institutionnelles.

Au cours de cette enquête, notre position de chercheuses a été constamment questionnée. Approcher les travailleur•ses pendant leurs tâches a suscité un certain malaise, révélant la difficulté de rencontrer l’autre dans son environnement de travail sans perturber son rythme. Cette proximité a mis en lumière nos propres préjugés et hiérarchies implicites, nous confrontant à l’inconfort de notre position d’étudiantes observant des professions souvent invisibilisées. Ce travail nous a amenées à réfléchir sur l’éthique de l’enquête, sur la temporalité de la rencontre et sur la nécessité de créer un espace d’échange respectueux, dans lequel les voix de celles et ceux qui entretiennent le Plateau puissent s’exprimer sans être ni exploitées ni instrumentalisées.

Le Plateau de Saclay, dans sa structuration urbaine et institutionnelle, reste un lieu où se reproduisent les inégalités sociales, de genre, de classe et de race. Mais ces contraintes ouvrent également des espaces de résistance et de créativité : les liens tissés, même modestes, révèlent des formes d’autonomie et d’entraide. L’idéal d’un Saclay partagé et inclusif suppose de déconstruire le rêve existant, pour en faire émerger un autre, plus juste et collectif. Reste à se demander si ce rêve est seulement possible : peut-on réunir des temporalités, des positions sociales et des expériences si différentes pour construire un projet commun ? Et doit-on toujours chercher à rendre visibles ceux et celles qui souhaitent parfois rester invisibles ? Cette réflexion ouvre sur une recherche continue de l’équilibre entre visibilité, respect de l’altérité et aspiration à un idéal partagé.

Remerciements

Nous souhaitons ici exprimer notre grande reconnaissance aux agentes et agents d’entretien qui ont accepté de nous livrer une partie de leur temps précieux pour nos entretiens. Qui nous ont accordé leur confiance, se sont confié•es à nous et avec lesquel.les nous avons eu le plaisir de partager ces échanges. Nous souhaitons que cette enquête puisse devenir un prétexte pour commencer à tisser des liens avec elles et eux. Évidemment, notre reconnaissance pour votre disponibilité se lie à notre reconnaissance pour votre participation à parfaire nos lieux d’étude.

Nous adressons toutes les cinq un mot de remerciement pour Christelle Thomas et Aurélie Schmidt-Pons, pour leur apport engageant à notre recherche. Nous les remercions pour la précision de leurs réponses et leur vive participation à notre enquête.

Enfin, merci Panos, Isabelle et Marie-Alix pour votre encadrement dans notre recherche et pour nous avoir donné ce prétexte à nous engager pour le plateau.

Bibliographie / médiagraphie

Beaud Stéphane et Weber Florence, 1997, Guide de l’enquête de terrain: produire et analyser des données ethnographiques, Paris, France, Éditions la Découverte, 327 p.

Crenshaw, Kimberlé, et Emmanuelle Delanoë-Brun. 2023. Intersectionnalité. Petite biblio Payot 1224. Payot.

Haraway Donna, 1988, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle » dans Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature, traduit par Oristelle Bonis, traduit par M.-H. préface Bourcier et traduit par Jacqueline Chambon, s.l.

Mauss Marcel, 1923, « Essai sur le don : Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. », L’année sociologique, 1924 1923, (coll. « seconde série »).

Scott, James C., Olivier Ruchet, et Ludivine Bantigny. 2019. La domination et les arts de la résistance: fragments du discours subalterne. Éditions Amsterdam.

Shapin, Steven. “The Invisible Technician.” American Scientist, vol. 77, no. 6, 11/1989, pp. 554–63.

Smith Linda Tuhiwai, 2022, Decolonizing methodologies: research and indigenous peoples, Third edition., London, Bloomsbury Academic, 302 p.

Delboy, Caroline. Socialter. 2020. Portraits d’invisibles : le quotidien du personnel de nettoyage. Consulté le 07 octobre 2025. 
https://www.socialter.fr/article/portraits-d-invisibles-le-quotidien-du-personnel-de-nettoyage

Devetter, François-Xavier, et Julie Valentin. SciencePo, Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques. 2024. Les “travailleurs et travailleuses du nettoyage” : deux millions de personnes au cœur des désordres du travail. Consulté le 07 octobre 2025.
https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/actualites/francois-xavier-devetter-julie-valentin-les-travailleurs-et-travailleuses-du-nettoyage-deux

La Dares. 2019. Métiers du nettoyage : 80% des salariés sont des femmes. Consulté le 07 octobre 2025. 
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-metiers-du-nettoyage-quels-types-d-emploi-quelles-conditions-de-travail

  1. Devetter, François-Xavier, et Julie Valentin. SciencePo, Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques. 2024. Les “travailleurs et travailleuses du nettoyage” : deux millions de personnes au cœur des désordres du travail. Consulté le 07 octobre 2025.
    https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/actualites/francois-xavier-devetter-julie-valentin-les-travailleurs-et-travailleuses-du-nettoyage-deux-/
    ↩︎
  2. Haraway Donna, 1988, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle » dans Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature, traduit par Oristelle Bonis, traduit par M.-H. préface Bourcier et traduit par Jacqueline Chambon, s.l.
    ↩︎
  3. Smith Linda Tuhiwai, 2022, Decolonizing methodologies: research and indigenous peoples, Third edition., London, Bloomsbury Academic, 302 p. ↩︎

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