Looking at design through the lens of social sciences

  • A new field of study and topic that change each year. 
  • Students work in small groups and conduct a ‘flash’ empirical study. 
  • 5 days of workshops and fieldwork. 
  • Formulate a research problem, devise original methodologies, carry out an investigation by collecting empirical data, analyse it and present it.

Théâtralisation d’un territoire, le Plateau de Saclay


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Romane Boyer, Zoé Buranello, Romane Deubil, Nina Drouillot et Sarah Streicher-Mellange

Introduction

En traversant le Plateau de Saclay, un sentiment d’artificialité nous assaille. Les rues, bâtiments, espaces verts et même passants semblent avoir été placé dans ce décor : un territoire théâtralisé où tout est là artificiellement. À quoi peut bien tenir cette impression ?

La création du Plateau de Saclay est issue d’un récit idéal, qui a été planifié et mis en place, la volonté de réunir sur un même lieu école, entreprise et recherche, et ainsi de produire un lieu hautement compétitif à l’échelle internationale. Aujourd’hui, alors que certains bâtiments sont encore en construction et d’autres déjà occupés, quelle impression se dégage de cette ville sortie de terre en 15 ans ? Quels liens entre la planification idéale et l’artificiel, le décor, la mise en scène ? 

Au lieu de construire la ville progressivement, à mesure qu’apparaissent les besoins de ses habitants, le Plateau de Saclay a été conçu bien avant d’être habité : habitations, commerces, travails, déplacements, tout est né d’un seul tenant. Les récits idéaux, entre scénario d’usage, planification urbaine, projet étatique de rassemblement, rencontrent désormais la réalité matérielle du Plateau. Alors que les objets architecturaux sont soigneusement ordonnées selon une grille pour former un réseau de coopération, aucune continuité ni dialogue ne semble en surgir. Sommes-nous sur le plateau de tournage d’un film à gros budget sur la recherche française ? Ce que nous prenions pour du béton ne serait-il en réalité qu’un décor en carton-pâte ? Comment la matérialité détermine les scénarios de vie des usagers ? Comment s’approprier un lieu qui correspond à des idéaux stéréotypés ? 

Est-ce que le Plateau fonctionne comme un décor ? Pour répondre à cette question, nous tenterons dans un premier temps d’en comprendre les ressorts : quels sont les leviers architecturaux, organisationnels, sociaux qui induisent ce sentiment d’artificialité ? De là, nous chercherons à recueillir les usages et ressentis des usagers du Plateau, en comparant l’idéal du projet et les réalités vécues. 

Méthode

Ces questions seront abordées à travers l’étude de 3 matériaux d’enquête : le plan des urbanistes méthodes, un questionnaire et des entretiens semi-dirigés, afin de conjuguer enquête quantitative et qualitative. 

Pour commencer notre enquête et affiner nos questions, il nous fallait dans un premier temps chercher à comprendre la site et cerner au mieux les ambitions que cherchait à relever le programme du plateau de Saclay. Nous avons pris comme point de départ des interviews réalisées par trois concepteurs du projet qui intervenaient à trois échelles différentes: Michel Desvigne (paysagiste), Floris Alkemade (architecte urbaniste) et Renzo Piano (architecte). Les interviews de Desvigne et Alkemade réalisées en 2012 pour l’EPA Paris-Saclay et menées par le journaliste Sylvain Allemand font date d’un moment charnière du projet. Entre présentation d’un projet territorial idéal et premières désillusions, l’analyse de la parole des concepteurs trois ans après le lancement du projet permet de mettre en lumière la complexité du site tout en nous fournissant un terreau fertile pour préciser nos premières intuitions du site. Les interviews sont complétées par des documents de travail des concepteurs, cartes et schémas, qui illustrent les idéaux de ces acteurs du projet. 

Notre questionnaire porte deux objectifs. Le premier consiste à établir quelles seraient les caractéristiques d’une architecture “décor”, autrement dit, par quels éléments s’exprimeraient le caractère factice, artificiel, monté de toutes pièces du Plateau de Saclay. Ensuite, il s’agit de déterminer quels usagers partagent ce sentiment de décor. Nous voulons comprendre quelles sont leurs habitudes sur le Plateau, afin d’établir ou non un lien entre l’usage du Plateau et le sentiment de décor. Ce questionnaire a été diffusé entre le 4 et le 10 novembre 2025, et a obtenu 25 réponses.

Notre guide d’entretien reprend les questions du questionnaire, les augmente, propose des phases de dessins. S’il est aussi précis que le questionnaire, il est néanmoins plus libre sur le format des réponses. De même, toutes les questions n’ont pas été nécessairement abordées, et les points suscitant des réponses enthousiastes de la part des interviewés ont pu être approfondis. Les questions étaient organisées selon un déroulé chronologique, le temps d’une journée type sur le Plateau de Saclay. Nous avons aussi cherché à comparer les ressentis des usagers et leurs usages réels du Plateau. Nous avons interrogé 10 personnes entre le 4 et le 13 novembre 2025.

Programme

L’écriture d’un programme est une des premières étapes de conception d’un projet urbain, paysager ou architectural. Elle permet à la maîtrise d’œuvre comme à la maîtrise d’ouvrage d’identifier et de s’accorder sur les besoins, les exigences et les contraintes qui vont s’appliquer à l’élaboration du projet et d’en définir précisément les objectifs. Le programme synthétise les choix porteurs du projet en matière d’aménagement, de logement, d’activités, d’équipements publics, de services. Il se doit de répondre au contexte local, au besoin des usagers mais aussi à la demande des commanditaires. 

Le programme à l’origine du plateau de Saclay peut se résumer en 5 points:

1- Relier et articuler les pôles du Grand-Paris tout en dépassant progressivement la ségrégation socio-spatiale entre Paris et les banlieues

2- Proposer un véritable “cluster de recherche” à une échelle encore inédite en France, organisant autour de parcs-campus un archipel de pôles de recherches et d’innovation internationale. 

3- Unifier le territoire de la vallée de la Bièvre historiquement morcelé (paysage, activités, circulations) en “augmentant sa géographie naturelle”, notamment par la prolongation des côteaux boisés.

4- Affirmer nettement l’identité périphérique du plateau en respectant les vides dédiés à l’agriculture, qualifiant les limites boisées et intensifiant les milieux existants. 

5 – Valoriser les espaces interstitiels en dessinant une gradation progressive allant du “paysage artificiel” du cœur du campus jusqu’au paysage naturel de la géographie amplifiée. 

La première interview que nous avons analysée est celle de Michel Desvigne interviewé par Sylvain Allemand pour l’EPA Paris-Saclay en 2012. Le paysagiste commence par mettre en exergue la difficulté de faire émerger un lieu de vie au programme si complexe avec des délais de livraisons très proches: “C’est un projet de grande ampleur dans un temps très court: la construction d’une ville de taille signification, ça peut prendre jusqu’à trente ans”. L’enjeu premier est en effet de concevoir un cluster des sciences de l’ingénieur en France et de répondre au besoin des grandes écoles de pouvoir travailler ensemble et mener des projets communs. Cette ambition se place dans un territoire complexe qui demande de composer avec l’existant. La conception de ce cluster doit se faire en concertation avec les habitants déjà installés sur le plateau tout en cherchant à sauvegarder un maximum de terres agricoles. Les parcs au cœur du campus ont alors vocation à devenir des paysages intermédiaires, mi-agricoles, mi-publics. Un autre enjeu serait de proposer une ingénierie écologique au service de la ville: favoriser les projets entre les chercheurs agronomes et les agriculteurs sur des questions telles que le traitement durable de l’eau et des sols, la conservation des matériaux d’excavation et la création de pépinières.  

Dans cette interview Michel Desvigne met aussi en exergue les trois échelles du projet qui se superposent sur le projet. Tout d’abord l’échelle territoriale du Sacaly à Satory qui demande d’unifier  plus de 7 700 hectares, puis l’échelle “parc-campus” sur 700 hectares qui articule les pôles de recherche autour des espaces verts, et enfin l’échelle des quartiers d’en moyenne 3 kilomètres qui présentent eux l’enjeux de créer des centralités et des espaces publics fonctionnels. (Voir Carte 01 et 02)

Carte 01 : Cartographie des archipels du plateau de Saclay (noyaux d’intensité + vides), Michel Desvigne Paysagiste. @MDP – 2025. URL (consulté le 26/11/25) : 

https://micheldesvignepaysagiste.com/fr/paris-saclay-cluster

Carte 02 : Cartographie de la géographie amplifiée du plateau de Saclay, Michel Desvigne Paysagiste. @MDP – 2025. URL (consulté le 26/11/25) : 

https://micheldesvignepaysagiste.com/fr/paris-saclay-cluster

Questionnaire

Affirmations

Aucune dynamique significative n’est sortie de notre questionnaire à propos du ressenti des habitants : 

  • À l’affirmation “Je ne me sens pas chez moi sur le plateau de Saclay”, la majorité des réponses (10) indiquent “Ni l’un, ni l’autre” et autant de personnes sont “Pas d’accord” que “D’accord”. (Voir Graphique 01)
  • “Le plateau de Saclay me semble étranger” rencontre des réponses tout aussi mitigées, avec 4 à 6 votes pour chacune. (Voir Graphique 02)
  • Enfin, à l’affirmation “Je ne me sens pas à l’aise sur le plateau de Saclay”, 7 personnes répondent “Ni l’un ni l’autre”, 10 “Pas du tout d’accord” ou “Pas d’accord” et 8 répondent “Tout à fait d’accord” ou “D’accord”. (Voir Graphique 03)

Graphique 01 : Répartition des réponses à l’affirmation “Je ne me sens pas chez moi sur le plateau de Saclay”. Données issues d’un questionnaire diffusé entre le 4 et le 10 novembre 2025. 

Graphique 02 : Répartition des réponses à l’affirmation “Le plateau de Saclay me semble étranger”. Données issues d’un questionnaire diffusé entre le 4 et le 10 novembre 2025. 

Graphique 03 : Répartition des réponses à l’affirmation “Je ne me sens pas à l’aise sur le plateau de Saclay”. Données issues d’un questionnaire diffusé entre le 4 et le 10 novembre 2025. 

Le fait de ne se sentir ni chez soi, ni à l’aise sur le plateau de Saclay pourrait aussi venir de sa spécificité géographique comme le souligne l’architecte urbaniste Floris Alkemade. Même pour le concepteur, le plateau semble particulièrement vide, alors comment créer un sentiment d’urbanité dans ce lieu? Historiquement, les populations se sont installées dans les vallées et non sur les plateaux. 

Caractéristiques

Lorsqu’il était demandé de choisir une ou plusieurs caractéristiques visuelles pour décrire le Plateau, “Géométrique” est revenu 16 fois, “Neuf” 14 fois, “Moderne” 13 fois, “Terne” et “Inachevé” 11 fois. Au contraire, “Organique” et “Coloré” n’ont été choisis qu’une seule fois, “Hétérogène” 2 fois, et “Futuriste” 3 fois. Outre ces résultats saillants, “Terne”, “Épuré”, “Inachevé” et “Factice” ressortent 8 à 11 fois. (Voir Graphique 04)

Graphique 04 : Répartition des termes pour décrire les caractéristiques visuelles du plateau de Saclay. Données issues d’un questionnaire diffusé entre le 4 et le 10 novembre 2025. 

Nous pouvons relever la prédominance d’un vocabulaire décrivant une architecture moderniste et inhospitalière. Le terme “géométrique” semble laisser penser que les usagers du plateau de Saclay ont conscience que tout l’environnement a été bâti pour répondre à un projet architectural, et que la structure du territoire répond à un plan hippodamien. La répartition des termes choisis montre bien un consensus quant aux caractéristiques visuelles principales perçues par les usagers.

Pourtant un des écueils que cherchait à éviter l’architecte urbaniste Floris Alkemade était de reproduire l’effet “ grand ensemble” des erreurs de l’architecture moderniste en France en proposant un lieu plus poreux, plus facilement appropriable et surtout à échelle humaine.  De même pour l’architecte Renzo Piano, l’identité visuelle du bâtiment  de l’ENS Paris-Saclay devait être caractérisée par l’espace vert central, qui devaient être un “ jardin extra-ordinaire, un coeur vibrant”.

Nous avons également cherché à savoir quelles émotions suscitent le bâtiment dans lequel travaillent les personnes qui ont répondu au questionnaire. Le sentiment qui est le plus revenu est “Ennui” (10 fois),  “Concentration” le suit de près avec 9 réponses. “Solitude” et “Communauté” suscitent chacun 7 réponses, preuve d’un avis général mitigé sur ce point. Les émotions plus fortes “Motivation” et “Tristesse” n’ont été choisies que 3 fois chacune. (Voir Graphique 05).

Le ressenti des usagers interrogés contraste avec les ambitions de l’architecte Renzo Piano qui souhaitait faire de l’école “un écrin propice à la réflexion, aux échanges, au partage de connaissances. Une école heureuse, conviviale, qui conjugue bien-être et bonheur d’apprendre.”

Graphique 05 : Répartition des émotions ressenties dans les bâtiments dans lesquels travaillent les personnes qui ont répondu au questionnaire. Données issues d’un questionnaire diffusé entre le 4 et le 10 novembre 2025. 

Difficulté

Les réponses obtenues avec le questionnaire sont indépendantes les unes des autres : il nous est difficile de déterminer à quoi tiendrait le sentiment de décor. Par exemple, 76% des participants ont un sentiment de routine, mais comment savoir si la routine est liée à l’artificialité ? 

Face à cette difficulté, nous avons conçu le guide d’entretien de sorte à ce qu’il nous permette de croiser les informations. Pour comprendre quels sont les leviers de la mise en décor, nous avons cherché à mettre en lien usages, perceptions du territoire et sentiments des usagers. La possibilité d’approfondir certaines questions est également une possibilité dont nous avons tiré partie au cours des entretiens. 

Entretiens semi-dirigés 

Méthode de traitement de données

Compte-tenu de notre difficulté à traiter les réponses du questionnaire, nous avons choisi de construire le guide d’entretien comme un assemblage de méthodes quantitative et qualitative, de sorte à pouvoir comparer entre elles les deux types de données. Nous avons donc imaginé des bipolar scales, des questions ouvertes, ainsi que des moments de croquis.

Pour traiter les données, nous avons entré toutes les réponses de l’entretien dans un tableau commun afin d’obtenir une vision d’ensemble (Voir Graphiques 06, 07 et 08). Ceci nous a permis de réfléchir à la façon de modéliser les différents types de données :

  • Les bipolar scales ont été transcrites en échelle de 0 à 4, ce qui nous a permis d’obtenir des moyennes, des minimums et des maximums, à transformer ensuite en pourcentage.
  • Les réponses ouvertes ont été analysées notamment par la récurrence de thèmes et de concepts, nous avons aussi tenté de les regrouper en grandes catégories 
  • Les croquis ont été comparés entre eux dans un même entretien, et aussi entre les différents entretiens.

Nous avons également pu saisir quelques dynamiques déjà saillantes, que nous avons ensuite mises en forme par la construction d’autres tableaux d’analyse plus précis, pour confirmer ou infirmer leur importance. Ces autres tableaux mettent en forme différemment les données pour obtenir des moyennes, mais aussi pour croiser des données spécifiques entre elles : par exemple, comparer le sentiment d’investissement sur le Plateau aux activités réellement exercées par les interviewés. Nous avons ensuite pu transformer ces tableaux en graphiques. (Voir Graphiques 09, 10, 11 et 12)

Graphiques 06, 07 et 08 : Extraits du tableau commun de traitement des données recueillies via l’entretien. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Graphiques 09, 10, 11 et 12 : Extraits du tableau d’analyse des données recueillies via l’entretien. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Profils des interrogés

Sur les 10 entretiens réalisés, nous avons interrogé 8 étudiants de l’ENS (entre 19 et 24 ans) et 2 personnels de l’ENS (29 et 42 ans). 

Transport

90% des interviewés vivent sur le Plateau de Saclay. Pour 90% d’entre eux également, leurs temps de trajets sont courts (moins d’une heure), ce qui s’explique notamment par le fait qu’ils vivent sur le Plateau. Pour choisir leur itinéraire quotidien, tous essayent de faire au plus court, 40% d’entre eux précisent préférer avoir moins de correspondances. 20% prennent également en compte le caractère agréable du trajet : croiser un cours d’eau, de la végétation, profiter d’un point de vue intéressant… (Voir Graphique 13)

Graphique 13 : Répartition des réponses à la question “Quels choix influencent leur trajet ?”. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Nous souhaitions examiner la question suivante : est ce que les modes de transport déterminent la relation au territoire ? Cependant, n’ayant pu nous entretenir qu’avec des habitants du Plateau, nous avons un spectre de données trop restreint pour répondre à cette question. 

Repères spatiaux

Dans notre entretien, nous avons demandé aux interviewés de nommer les éléments qui leur permettent de se repérer dans l’espace sur le Plateau de Saclay. Tous nous ont cité les façades comme un repère spatial majeur, ou encore les arrêts de bus et autres éléments de signalétiques urbaines (panneaux, noms de rue, marquages au sol…). 

Pourtant, en comparant ces réponses au projet initial des architectes urbanistes, on observe une dissonance : en effet, dans le projet architectural, il est spécifié que c’est via la géographie amplifiée (c’est-à-dire ces paysages naturels intermédiaires qui forment comme un réseau sur le territoire) que les usagers devraient se repérer. Or, on voit que les parcs, espaces verts ou coteaux boisés ne servent pas de repères spatiaux pour les personnes que nous avons interviewés. Aucun n’a cité les espaces verts comme permettant de se repérer dans l’espace. 

Est-ce que ces espaces verts n’auraient pas une échelle inadaptée pour pouvoir rivaliser avec la taille des bâtiments et servir de repères spatiaux ? 

Implication dans la vie du territoire

Pour commencer, nous avons demandé aux interviewés s’il avait le sentiment de faire partie de la vie de quartier chez eux, et sur le Plateau. Nous avons été surprises par les réponses : le sentiment d’implication chez eux est en moyenne de 27,5% (sur une échelle de 0 à 100, 0 correspondant à “pas du tout impliqué” et 100 à “très impliqué”), quand il est de 55% sur le Plateau (Voir Graphique 14). Pourtant, 90% des personnes interrogées vivent sur Plateau, comment expliquer cet écart ? Nous émettons l’hypothèse, au vu des réponses reçues tout au long des entretiens, que les personnes qui vivent sur le Plateau associent l’idée du “Plateau” à leur lieu d’étude ou de travail. Même s’ils y vivent, ils le distinguent de “chez eux”. Étant pour la plupart investis dans des associations de leur école, ceci expliquerait un sentiment d’implication plus fort pour “le Plateau”.  

De plus, l’architecture du plateau a été pensée pour inviter les usagers à s’investir dans la vie du lieu. Pour l’architecte Renzo Piano, les larges baies vitrées dans les rez-de-chaussée offrent une vue d’ensemble sur la vie intérieure et quotidienne des bâtiments et la diversité des activités possibles. 

Ensuite, nous leur avons demandé à quelle fréquence ils utilisent les espaces et structures du Plateau : espaces verts, commerces, activités sportives et culturelles, vie association, soirées étudiantes, LUMEN, Scène de recherche et patrimoine local. Sur une échelle de 0 à 100, 0 correspondant à “Jamais” et 100 à “Très souvent”, les commerces sont utilisés à 75% pour les interviewés. Suivent les soirées étudiantes, fréquentées à 57,5%, les activités sportives à 45% et les espaces verts à 42,5%. Le patrimoine local n’a jamais été visité par aucun des interviewés. L’usage du LUMEN (25%) est périodique : il y a plus de fréquentation pendant les périodes d’examens. (Voir Graphique 15)

Nous avons dans un second temps comparé le ressenti d’implication de chaque personne interrogée à la moyenne des activités effectuées. Le sentiment d’implication est plus élevé que la moyenne des activités pour 80% des personnes interrogées (Voir Graphique 16). En moyenne, il diffère de 23,67 points des activités effectuées. Nous émettons l’hypothèse suivante : si nous avons mis toutes les activités sur un pied d’égalité, leur donnant la même importance pour la vie de quartier, les personnes interrogées les hiérarchisent, utiliser les commerces ne revêt pas la même importance que visiter le patrimoine local par exemple. 

Graphique 14 : Répartition des réponses à la question “Les usagers ont-ils le sentiment de faire partie de la vie de quartier ?”. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Graphique 15 : Répartition des réponses à la question “Comment les usagers utilisent-ils les espaces et les infrastructures du plateau de Saclay ?”. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Graphique 16 : Répartition des réponses aux activités effectuées par les interviewés. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Perception de l’architecture 

Pour qualifier l’architecture du Plateau, 72,5% des interviewés utilisent le terme “factice”, ce qui confirme en partie notre hypothèse sur le sentiment de décor. 70% évoquent une certaine uniformité architecturale du Plateau. (Voir Graphique 17)

Graphique 17 : Répartition des termes pour qualifier l’architecture du plateau. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Ensuite, nous avons sélectionné 8 images et demandé aux interviewés de déterminer pour chacune le degré d’opposition ou de similitude avec le Plateau. Nous avons volontairement masqué les légendes afin de ne pas les influencer.

  • L’image D n’a suscité que 5% de ressemblance en moyenne, et a été qualifiée de “style rococo”, “élégant” et “artistique”.
  • L’image B obtient 20% de ressemblance, qualifiée de “classique”, “organisé”, “géométrique” et “symétrique”.
  • L’image G, décrite comme “vide de vie”, “répétitif”, “façades quadrillées” est similaire à 27,5% au Plateau.
  • L’image C, “nature”, “campagne”, “rural”, obtient 42,5% de ressemblance, tout comme l’image E (“vide”, “pas grand chose à faire”).
  • L’image H, qualifiée par “construction”, “grues”, “en travaux” est jugée similaire à 77,5%.
  • L’image F, que les interviewés décrivent comme “en travaux”, “artificiel”, “béton”, obtient 90% de ressemblance.
  • Enfin, l’image A, décrite par les termes “vide”, “béton”, “froid”, “aspetisé” et même “ressemble à une prison” est jugée ressemblante au Plateau à 92,5%. (Voir Graphique 18)

Image A : ​​Tati, J. (1967). Playtime. https://diacritik.com/2015/12/21/tati-cinema-un-cycle-sur-arte-et-un-entretien-avec-antoine-gaudin/

Image B : Costa Baldi, P. (2010, septembre 29). Jardins de Versailles vue de Parterre d’eau. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Versailles_view_from_the_Parterre_d%27eau.jpg

Image C : Bonheur, R. (1849). Labourage nivernais. RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda49.

Image D :  Reby, S. (2021). Le décor de la place publique planté sur la scène du Théâtre impérial. Château de Fontainebleau. https://www.lescarnetsdeversailles.fr/2021/06/place-a-un-anciendecor-de-theatre/

Image E : Anderson, W. (2023). Asteroid City. Pop. 87 Productions/Focus Features. https://uncoated.co.il/en/magazine/erica-dorn-wes-anderson/

Image F : Sophie De Vaissière, Simon Humblot. (2024, juin 3 à 12h37). Seine-et-Marne : ces nouveaux studios de cinéma reproduisent au détail près des rues entières de Paris. La rédaction de TF1info. https://www.tf1info.fr/culture/video-cinema-seine-et-marne-ces-nouveaux-studios-de-cinema-reproduisent-au-detail-pres-des-rues-entieres-de-paris-2302154.html

Image G : Bofill, R. (1978-1983). Espaces d’Abraxas. Ricardo Bofill Taller de Arquitectura. https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/noisy-le-grand-la-cite-futuriste-se-dessine-un-nouvel-avenir-28-10-2018-7929852.php

Image H : 187067777/Sina Ettmer. (s. d.). Ville en construction. Adobe Stock. https://immobilier.lefigaro.fr/article/les-vols-dans-les-chantiers-coutent-pres-de-deux-milliards-d-euros-au-btp_a119dd44-2701-11ef-9aa5-8c3356bd4d66/ 

Graphique 18 : Parts des ressemblances entre chaque image et le Plateau de Saclay. Données issues d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Ce qui est surprenant par ailleurs, c’est que les deux images de décor que nous avions sélectionné (D et F) ont été jugées à la fois opposée au Plateau (5% de ressemblance pour la D), et très similaire (90% de ressemblance), mais jamais pour cette qualité de décor. L’image D tranche par son style travaillé, une qualité “artistique”, tandis que la F étaient souvent prise pour une photo de travaux. 

Thèmes récurrents

Au cours des entretiens, le terme “vide” comme description du Plateau a été cité 12 fois. Le qualificatif “artificiel” est quant à lui revenu 6 fois en dehors des questions que nous posions directement à ce sujet. Nous avons aussi relevé 6 fois la mention de “béton”, et 3 fois les mentions de “gris”, “géométrique”, “bloc” et “grand”. 

Lors des entretiens, nous avons également demandé aux interviewés de représenter le plateau de Saclay par le croquis. Les différentes représentations obtenues nous permettent de comprendre la façon dont ils perçoivent le territoire. Une des représentations du territoire est faite sous la forme d’un quadrillage, cela rejoint également une de nos questions précédentes du questionnaire pour qualifier les caractéristiques visuelles du plateau dont la réponse majoritaire avait été “géométrique”. Le plateau est perçu à la façon de blocs aux lignes droites et aux angles droits, disposés de manière régulière. (Voir Croquis 01)

Un autre croquis représente le territoire traversé par le biais des arrêts de bus, figurants comme repères spatiaux. Là encore, cela rejoint une des questions de l’entretien qui indiquent que les usagers se repèrent davantage grâce aux arrêts de bus que grâce à la géographie amplifiée. (Voir Croquis 01)

L’objectif des urbanistes d’utiliser les coteaux boisés comme repères spatiaux n’est pas réussi puisqu’aucun des interviewés n’a représenté les espaces végétaux intermédiaires comme moyen de figurer le plateau.

Un dernier croquis représente le plateau sous la forme de deux pôles bien distincts : celui où l’individu vit, et celui où il étudie. Il n’y a pas de représentation de l’espace traversé pour relier ces deux espaces. Cela montre également une méconnaissance du territoire qui n’est que traversé de manière rapide. (Voir Croquis 01)

Croquis 01 : Représentation par les interviewés du plateau de Saclay sous la forme d’un dessin libre. Croquis issus d’entretiens réalisés entre le 4 et le 13 novembre 2025. 

Plateau idéal 

À la question “Selon vous, qu’est-ce qui manque au Plateau de Saclay ?”, trois terrains d’améliorations sont régulièrement évoqués : le transport, l’organisation de l’espace, et la vie de quartier. 

Au sujet du transport, 50% des interviewés souhaitent que le Plateau soit mieux relié à Paris. Les urbanistes voulaient pourtant assumer l’identité périphérique du lieu, en respectant l’identité rurale du lieu tout en reliant le plateau aux autres pôles du Grand-Paris. La régularité et les horaires des transports en commun ont été abordés plusieurs fois, comme l’accès à un parking public. Nous avons également relevé une demande de pistes cyclables aménagées.

À propos de l’organisation de l’espace, 40% des interviewés souhaitent plus de verdure sur le Plateau. Des problèmes d’échelle ont aussi été relevés : un désir de bâtiments à taille humaine et de diminution de l’espace entre les bâtiments. Les interviewés veulent également que l’organisation de l’espace favorise la rencontre : créer une esplanade commune, des lieux de rencontres “moins artificiels”. Des rues moins géométriques et moins de travaux font aussi partie des souhaits des usagers. Pour la vie de quartier, nous avons observé un appel général à plus d’animation : plus de commerces (30% des interviewés), plus de logements (20% des interviewés), mais aussi plus de réseau/données mobiles (20% des interviewés). Globalement, les interviewés sont en demande de lieux d’intérêts comme un cinéma ou skate parc, pour rendre le Plateau plus vivant. Un étudiant a également fait le souhait d’une vie associative de la ville, plutôt que des écoles.  

On observe peut-être ici le plus grand écart entre l’idéal du Plateau de Saclay pensé par ses concepteurs et la réalité du quotidien des usagers. Selon L’architecte urbaniste Floris Alkemade la densification d’activités mixtes (commerces, lieux d’enseignement logements) aurait dû favoriser les interactions entre les différents usagers, construire une dynamique et favoriser une synergie entre les fonctions “ car la ville c’est aussi cela, la possibilité de rencontres fortuites”.  

Conclusion

Si l’échantillon des personnes interrogées est trop restreint pour répondre à notre problématique, nous avons cependant des pistes de réflexions : certains usagers partagent ce sentiment d’artificialité puisque 72,5% des personnes interrogées décrivent l’architecture du Plateau comme factice. Certaines caractéristiques formelles sont aussi souvent évoquées : “géométrie” se distingue à la fois dans le questionnaire, dans les entretiens et les croquis. L’échelle est également évoquée à plusieurs reprises : pour décrire le plateau, mais aussi directement cette impression d’artificialité : “Même quand il y a beaucoup de fréquentation c’est trop grand et plat” nous disait un interviewé, et pour rêver à un plateau idéal, “à taille humaine”.  

Les retours des interviewés témoignent aussi des écarts existants entre l’idéal du projet conçu par les architectes urbanistes et le quotidien vécu par les usagers, que ce soit au sujet de l’esthétique visuelle perçue, du ressenti ou des activités sur le site. Cependant il est intéressant de noter que les concepteurs eux-mêmes avaient pressenti certaines difficultés liées aux contraintes du planning, du site mais aussi des exigences des commanditaires jugées ambitieuses mais “naïves”. Ainsi étaient déjà énoncées le risque de l’impression de vide du plateau et la difficulté de créer artificiellement un sentiment d’urbanité et des interactions entre les usagers et entre les activités. 

Également, cette étude nous a permis d’ébaucher une méthode de recherche : privilégier l’entretien pour lier la perception de l’espace, les usages et un potentiel sentiment de décor. De plus, la comparaison entre les ressentis des usagers et leurs usages factuels du lieu ont soulevé des questions qui nous permettent d’affiner notre recherche.